marie-martine mestre

C'ETAIT DANS LE TRAIN

Je venais juste de prendre place quand un homme est arrivé avec un chien, un beau chien de chasse gris/blanc/noir, un peu foufou...Il devait être encore tout jeune avec l'air d'adorer son maître qui le fit s'installer entre deux sièges... "Allez coucher, pas bouger" avec quelques flatteries sur le dos pour le faire s'immobiliser. Puis le maître s'est lui-même installé sur un siège de l'autre côté du sass à l'entrée du wagon... De petite taille, râblé, très noir de cheveux, de poil, d'yeux et de vêtements, plutôt élégant, il m'intriguait, ne sachant trop que penser de lui. Avec son air farouche, il me surprenait presque par la douceur de ses caresses à son chien. Un peu plus loin, une jeune africaine, des frisottis rigolos plein la tête, lisait tranquillement assise à côté d'un gros pépère...

Et voilà qu'arrive un drôle de personnage : visage gris tout ridé, longs cheveux gris indisciplinés dépassant d'un bonnet vaguement oriental aux couleurs passées depuis longtemps ! Il tenait un grand panier à chat qu'il a déposé par terre, le sass était était grand ! Le chien est redevenu tout foufou, agitant sa queue en panache, tournant autour de la cage, reniflant et gémissant... Le vieux Hippy sur le retour a doucement ouvert la cage, libérant un...caniche noir ! Les deux animaux se sont fait la fête, se roulant par terre tout joyeux de faire connaissance ! C'était vraiment sympa de les voir faire ! Le Hippy se rapproche un peu de l'homme en noir. Des mains et de la parole se met à lui parler... Des questions sans doute sur le beau grand chien... Demandes, incompréhensions, curiosité, essais de trouver un langage commun pour se comprendre et pouvoir échanger... Je comprenais vaguement que l'un disait "Italien ?... Français ?... Espagnol ?..." et que chaque fois l'autre répondait par des mimiques incertaines en disant vaguement "un peu.."

 

C'était vraiment intéressant de les voir essayer de trouver une langue commune, exactement comme lorsque l'on dispose d'un trousseau de clés et qu'on ne sait pas qu'elle est la bonne pour ouvrir la porte... Alors il faut essayer de la trouver en introduisant les clés l'une après l'autre dans la serrure ! Au bout de quelques tâtonements, ils ont trouvé que l'allemand avait l'air de convenir en le bricolant un peu et se sont mis à bavarder, très contents l'un de l'autre, parlant de leurs chiens ! Les deux chiens s'étaient d'ailleurs calmés, allongés presque l'un contre l'autre, corps et pattes étalés par terre. La conversation suivait son cours à grand renfort de rires, de gestes et de claques sympas sur l'épaule, sous le regard amusé du gros pépère et l'indifférence de Frisottis accaparée par son livre... J'ai enfin compris que l'Homme Noir devait être gitan, sans patrie bien définie... En fait sa patrie, ça devrait être son chien et lui ! Quant au vieux hippy allemand, ses rides dansaient de plus en plus sur son visage ! Et je me régalais de cette ambiance où chacun, animal aussi bien qu'humain, prenait grand plaisir à être là ensemble, à se rencontrer l'espace d'un moment dans ce train... Et je me disais "voilà, c'est ça l'Humanité : le plaisir d'être ensemble, de partager un bout d'espace, un bout de temps, comme on partage un saucisson avec un bout de pain !"

Bien sûr, loin de moi l'envie de confondre  animaux et humains, de vouloir bêtement faire de l'antropomorfisme et d'en faire une patouille "sentimentalo-mystique", pas du tout ! Mais à cet instant là "Humanitè" rassemblait dans mon esprit tous les êtres vivants, qu'ils soient en costards et portables, en tchador, en gros pull et en jean troué aux genoux, à deux, trois ou quatre pattes... Il y aurait eu un arbre aux feuillages mouvants dans le roulis du train que j'aurais encore parlé d'Humanité...Car pour moi, ce mot Humanité, s'il désigne un sentiment de bienveillance et de respect tout en même temps que ce groupe d'humains qui peuplent la terre depuis des milliers d'années, cela signifie surtout la Vie qui anime tout cela...Fraternelle... J'avais envie de murmurer des mantras de réjouissance tellement ce moment me permettait de surmonter la tristesse épouvantée devant ces images de gens torturés partout dans le monde, d'enfants ou de femmes violées ou de terres pillées... Une jeune femme en uniforme rouge est passée contrôler les billets, enjambant les chiens, sourire aux lèvres tant ça vibrait de "bon vivre" dans ce coin là du train... Nos différences étaient devenues des atouts pour se rencontrer et c'était vraiment réjouissant.

Quand je me suis levée pour descendre du train, ces deux hommes se sont levés pour me prendre chacun par une main et me soutenir dans les cahots de l'arrivé en gare, tandis que la jeune africaine s'emparait de mon bagage pour le déposer sur le quai. Je lui aurais presque fait une bise, mais je n'ai pas osé la remercier ainsi... Au fond, dommage que je ne l'ai pas fait...

 

Il y a quelques jours, je passais le long d'un taxi à l'arrêt le long du trottoir. La portière s'ouvre, un pied sort précautionneusement tandis qu'une jeune femme contourne la voiture et se précipite pour prendre une toute petite main toute frêle qui se tendait... C'était une Grand-Mère toute menue qui s'extirpait du taxi avec l'aide de la jeune femme. Spontanément j'ai attrapé le bras de la vraiment toute petite vieille dame pour lui offrir une aide supplémentaire...Quand elle a été sur ses deux pieds, un peu "branlicottante", elle s'est tournée vers moi, m'a regardée avec ses yeux tout près des miens en murmurant "Merci Madame, vous êtes belle, je veux vous embrasser !" de sa petite voix chevrotante... Un bisou sur la joue, léger comme une brise, puis d'un regard émerveillé comme un regard d'enfant : "je vous aime". Son aide et moi nous sommes regardées d'un sourire attendri devant tant de candeur...

Pas question de rêver d'un monde de Bisounours" ! Toutes ces horreurs que nous offre l'actualité jours après jours, il nous faut bien les prendre, les digérer, agir, prendre des décisions et s'unir pour faire face, essayer d'améliorer, modifier, faire évoluer tout cela vers un mieux plus humain, plus digne, plus aimant. Mais je me dis que toutes ces petites étincelles de joie de vivre, partout sur la planète et à tous moments, sont comme des vitamines qui nourrissent la foi dans la Vie, irriguent les forces de chacun, alimentent nos espoirs, aident à en faire des projets à réaliser, donnent envie de le faire en restant droits dans nos bottes et de tendre la main vers l'autre...  De toute façon, c'est cela le Feu de la Vie, qui jamais ne s'éteint, qui devant les vagues de haines offre sans cesse les vagues bienfaisante de l'amour plein de bienveillance pour tous les êtres !



04/12/2017
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