marie-martine mestre

ENFANCES

  

ENFANCES

 

 

             Il marchait devant moi sur le trottoir… ou plutôt, il courait ou alors il dansait, essayant des rythmes et des pas différents à chaque instant du haut de ses 2 ans, quelques petits bonds, des entrechats vite ralentis par des pas normaux de petit garçon bien sage sur le trottoir de la ville… Par moments il avait plutôt l’air d’un lutin, d’un elfe tout léger, à d’autres moments l’air d’un gros nounours un peu balourd sur ses pieds. Les bras tombants un peu penché en avant, il évoquait un gorille et dans les secondes suivantes il battait des bras comme s’il allait s’envoler ….Je marchais à quelques mètres derrière lui et j’étais fascinée par ce petit bonhomme que ses parents surveillaient du coin de l’œil en le laissant libre de jouer avec la pesanteur, l’équilibre, l’énergie dont il faisait preuve en créant à chaque instant des figures différentes… Il jubilait littéralement sur ses jambes, tellement heureux de les essayer de toutes sortes de manière…Il n’y avait sans doute pas si longtemps que cela qu’il marchait ! Et je riais intérieurement de le voir explorer les capacités de ses pieds et de ses jambes, développer une sorte de maîtrise heureuse d’être, une harmonie qu’il garderait sans doute toute sa vie ! C’était tellement joyeux dans l’instant ! Deviendrait-il un jour un

danseur que les filles se disputeraient tant il aurait ça dans le sang, ou un footballeur ? Escaladerait-il des montagnes, prendrait-il son pied à se déplacer sur un bateau par grosse mer ou deviendrait-il trapéziste, équilibriste ?   Le voyant si heureux et libre dans le moment, dans la jouissance des mouvements de son corps, je me disais que tellement de possibles lui seraient ouverts plus tard ! Parce que son corps n’aurait jamais oublié ce ressenti du plaisir d’être vivant !

 

              Beau soleil sur la ville ! Au débouché d’une rue piétonne en direction du Pôle Bus, des couleurs rutilantes attirent l’œil des passants, des lanières de tissus, des rubans chamarrés flottent dans le mistral…. Ça scintille, ça brille, et de partout jaillissent des sifflements, des roucoulements, des sons aigus, des rires presque… De loin ça donne une impression de forêt d’Amazonie à l’aube quand les oiseaux s’éveillent… De plus près, c’est un groupe d’enfants déguisés qui s’en donnent à cœur joie avec des sifflets, des boites de conserves qu’on a emplies d’un peu de gravier et qui émettent ces jolis sons rythmés quand on les secoue…Certains crient de joie et rient en voyant arriver d’autres enfants venus de tous les coins de la ville ! Carnaval des enfants, me dit-on. La cavalcade va se former ici, pour aller

jusqu’au Champ de Mars en passant par les petites rues de Valence... Il faut qu’on les voie, eux, leurs habits créés et décorés à partir de rien ou presque et leurs dragons tous plus terrifiants les uns que les autres !!! Des instituteurs, des parents à l’air ravis et fiers, la police bon enfant accompagnent cette démonstration de vitalité des enfants de la ville ! Vous vous rendez compte : 700 enfants sont venus se montrer en ville, un festival de couleurs, de sons, de chants par moments, de rythmes bien marqués, et de poussettes guidées par les mamans venues voir leurs petits faire la fiesta dans les rues entre les commerces et les portes cochères ! Certaines mamans s’étaient un peu déguisées, d’autres vêtues de noir et foulard sur la tête avaient l’air tellement contentes d’être là dans la rue en train de participer à cette fête collective. Tous, les Papa et les Mamans, couvant du regard leurs enfants à peine différenciables sous les chapeaux, les maquillages, et les mimiques…. De leur cavalcade dans les rues, de ces enfants tellement contents d’en faire partie, avec ces costumes vite faits pourvu qu’ils en jettent de toutes les couleurs au soleil, de ces pas de danses « premiers » soutenus par des tambours assez rudimentaires, il se dégageait quelque chose de presque sauvage, de quelque chose de puissant à qui il faut laisser la liberté de se manifester avant de  le canaliser au risque de le castrer si on cherche à le faire… C’était impressionnant ! Je regardais cela comme le jaillissement nécessaire des forces vives au printemps ! Cela me faisait penser à ces fêtes dans les temps antiques, telles les lupercales qui symbolisaient la fin de l’année et le retour du souffle vital du printemps…Tous ces enfants, réunis aux Champs de Mars à la fin du défilé pour un bon goûter, donnaient vraiment à sentir la puissance de la vie qui éclot en masse dans ses diverses manifestations, se soutient et se renforce par le nombre…

 

              Il est là planté devant la vitrine depuis un bon moment, un peu de ¾ si bien que je peux voir le reflet de son visage sur fond de chapeaux présentés à différents niveaux… Ce sont des chapeaux très différents les uns des autres… Exclusivement des chapeaux d’homme : casquettes dans le style « franchouille » ou genre Sherlock Homes, élégants Stetson, bonnets de ski,  chapka de fourrures dignes des trappeurs ou des fiers cavaliers des steppes, Borsalino et j’en passe ! Lui, il a dans les 12 ou 13 ans, la tête nue, style un peu poil de carottes crépu, silhouette de petit adolescent… Je vois son regard se promener sur les chapeaux, rêver, réfléchir, s’arrêtant sur l’un puis allant sur un autre, revenant lentement au premier pour s’attarder sur un autre encore…Il est tellement pris par l’observation de ces chapeaux qu’il ne voit pas que je suis dans les parages à le regarder faire… C’est évident qu’aucun de ces couvre chef ne lui irait, maintenant… mais on dirait que ces chapeaux lui parlent et lui racontent quelque chose… Quelque chose de l’homme qu’il pourra devenir, dans quel style de masculinité il pourra se choisir, dans quel « à venir » il aura envie de se couler pour devenir lui-même et réaliser ce qu’il est déjà au fond de lui….On dirait qu’il est là, en silence et profondément concentré, à l’écoute de lui-même….J’avais l’impression de participer à quelque chose de secret et de sacré, pour lequel je faisais des souhaits de bon augure.

 

               C’est une telle histoire, une telle aventure, d’être un enfant, de vivre son enfance en écoutant les échos du futur en soi donnés à pressentir par la vie du monde des adultes. Longue et belle vie à vous les enfants de maintenant, que les adultes comprennent leurs devenirs et apprennent à les soutenir et à les protéger en leur offrant la jouissance d’un monde où l’on peut s’épanouir, aimer et créer…pour soi, avec les autres.

 

 



12/03/2013
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