marie-martine mestre

L'ARBRE AUX LOTUS

          L’ARBRE AUX LOTUS

 

 

Nous avions soif, tous, tellement soif…

Depuis des semaines l’eau n’avait pas ruisselé en grosses gouttes scintillantes sur mes feuilles vernissées, les escargots restaient encoquillés dans leur coin. Les herbes folles avaient perdu leur souplesse humide et se brisaient dans le mistral, les serpents hésitaient dans leur trou. Sur les cerisiers les feuilles et les fruits rougissaient en se desséchant. L’eau vive du canal n’était plus qu’un mince filet. Seules les ronces continuaient d’envahir le jardin à l’abandon, indifférentes à la terre desséchée qui se craquelait par endroits, laissant les racines démunies.

 

Nous avions tellement soif….Il n’y avait plus que quelques pins d’Alep à la sève odorante qui n’avaient pas l’air de se plaindre et restaient verts, leurs pommes craquant dans la chaleur d’un soleil imperturbable.

J’avais d’abord été tout petit, c’était il y a longtemps, une toute petite plantule née d’une graine semée dans l’humus dont on surveillait l’humidité et la richesse. Je n’étais pas seul, nous étions nombreux dans la serre, poussant en rangs serrés dans un joyeux remue-ménage de cellules vertes ! Puis je me suis retrouvé jeune scion installé dans un container, retenu bien droit par un tuteur. Je devais faire bonne figure dans la pépinière pour tenter les acheteurs à la recherche de l’arbre de leur rêve…. « Je voudrais un magnolia à grandes fleurs blanches. Il pourrait être heureux dans la terre de mon parc, des alluvions du Rhône, une terre qui « réssuie bien ». Il pourra devenir magnifique ! » dit l’un d’eux qui prit le temps de me regarder sous toutes les coutures avant de m’emporter chez lui…Une fois planté, je me suis fait ma place, poussant mes racines en terre parmi les autres racines pour me nourrir. Je profitais de la fraîcheur du canal tout proche. Autour de moi, ça vibrait de partout… les rires et les cris des enfants, les « papotis et patatas » des dames penchées à l’ombre sur leurs broderies,  les cigales, quelques voitures aventurées dans ce petit chemin…. Mon tronc se développait et se couvrait d’une belle écorce grise toute lisse, mon bois* d’un bel ivoire ne connaissait pas les attaques des insectes. Parti explorer l’espace du bout des branches, je m’étalais, fier de mes belles feuilles luisantes d’un beau vert sombre…de mes fleurs, blanches et lumineuses dans le soleil, aux pétales charnus disposés en larges corolles , distillant un parfum si délicieux….Chaque été, lorsque des passants s’arrêtaient pour admirer la profusion des fleurs que je portais, je m’imprégnais de leur admiration tout autant qu’ils s’imprégnaient de mon parfum…c’était tout harmonieux, d’année en année je devenais beau, opulent.

Cette année-là, comme à chaque printemps, l’herbe a déroulé ses tapis dans le parc devenu sauvage sous les arbres, le manque d’eau s’est fait de plus en plus insistant. La terre asséchée s’était comme rétrécie en perdant de cette souplesse compacte qui nous tient bien plantés, nous les végétaux. Mes feuilles pesaient lourd, de plus en plus lourd. Pour nous animaux et végétaux il y avait grande souffrance de ne pas recevoir d’eau. Pourtant mes fleurs en boutons ont encore éclos, larges comme des coupes d’offrandes à l’azur du ciel.

 

Très pressée, elle a couru dans l’impasse… et puis s’est arrêtée net, dans un élan intense de tout son être. Elle riait de plaisir en regardant « Oh, que c’est beau, que c’est enivrant ! Toutes ces fleurs, on dirait des lotus. Je voudrais pouvoir en déposer une au pied du Lama, au pied du Bouddha. Juste une, pour ne pas déparer le magnolia… C’est impossible, ces fleurs se fanent dès qu’elles sont séparées de leur arbre… » Et puis elle est repartie en courant jusque chez elle tout près.

C’était midi, la lumière de plus en plus brûlante rendait l’air encore plus èléctrique. La terre de plus en plus sèche ne me retenait plus. Juste un souffle de vent… La haie basse n’a pu me retenir…..

 

….Ce jour-là, je revenais de Paris. Je courais aussi vite que je le pouvais, car je devais laisser mes affaires à la maison et retourner à la gare à toute allure emportant un autre sac avec mes instruments rituels et les textes de méditation, vite attraper le train pour Saint Marcellin et de là monter à Montchardon pour la retraite de Tcheu.

Porte refermée derrière moi, je m’élance…. Dans l’impasse un énorme bouquet de ces belles fleurs barrait le passage. Le magnolia gisait à terre, écroulé par-dessus la barrière, mettant toutes ses fleurs à portée de main, à portée de cœur....Coïncidence qui me plongeait dans une profonde stupeur, dans une ouverture fulgurante sur des réalités paralllèles…Offrande soudaine à la Grande Mère, Sagesse Transcendante, mystère infini de la vie.  Offrande renouvelée plusieurs étés de suite dans la puissance du parfum s’élevant de la souche laissée là où le magnolia avait grandi. Jamais oublié.

 

 

* Venu d’Amérique et d’Asie, le magnolia n’est jamais attaqué par les insectes. Son bois et son écorce ont des propriétés thérapeutiques connues en Chine et au Japon, en particulier. Son bois très dur peut facilement être travaillé et sculpté. Son nom est comme un poème en musique toute douce et joyeuse comme ses fleurs !



16/12/2011
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