marie-martine mestre

LES ENFANTS ? OU ETES-VOUS ?

Ces appels, nous les avons tous entendus criés par une Grand-Mère ou une Maman inquiète de savoir savoir ce que fait sa nichée !

Il y a quelques jours une amie m'a fait parvenir un texte intitulé "autrefois notre enfance".

En le lisant, une foule de sensations, d'émotions, de souvenirs se ruaient dans ma mémoire !

Oh que oui, je m'y reconnaissais dans toutes ces histoires de gosses, des jeux d'enfants des années 45, 50, 55... je n'ai pas connu tout ce que raconte ce texte, mais je peux en rajouter d'autres !  Les incroyables parties de Monopoly... Les bombes à eau... C'est quoi, les bombes à eau ? Bin voyons, c'est tout simple ! Nous déroulions les préservatifs piqués dans les tiroirs de la pharmacie de Papa, sans y voir de malice dailleurs, nous savions en gros à quoi ça pouvait servir, nous en rigolions un peu mais ça ne nous tracasssait pas trop !  Nous les mettions sous le robinet d'eau froide, et nous attendions qu'ils se remplissent en laissant bien gonfler, puis nous faisions un noeud pour fermer. Assis au bord du trottoir de la N° 75 qui traversait le village de part en part, nous attendions patiemment que passe une voiture en se racontant des blagues ou en commentant les nouvelles...Dès que nous en voyions une, nous lui balancions une bombe...  Au mieux la bombe éclatait sur le capot, au "moins pire" elle inondait une portière... Whaououou ! la belle gerbe brillante dans le soleil ! Bien sûr, on ne nous félicitait pas quand un parent nous surprenait... mais ça c'était la vie, de se faire ainsi gronder !

Nous avions un autre super jeu : nous ramassions quelques beaux galets arrondis, un peu plats, nous les installions en équilibre sur un rail de la voie de chemin de fer en attendant l'arrivée d'un train ou d'une draisine (*), bruyant, crachant sa fumée noire et lâchant des nuages de vapeurs... Les bielles ressemblaient à d'énormes pattes de sauterelles gigantesques bien rodées !

Pour patienter, nous récoltions le suc collant des pavots qui poussaient en foule d'un mauve délicat près de la voie ferrée. Intrigués par ce que Papa nous avait expliqué, nous étions assez perplexes et méfiants quant à l'usage de cette aspèce de truc qui devenait collant en séchant. Puis à plat ventre sur le ballast, l'oreille collée aux rails, nous attendions ce bruit caractéristique transmis par le métal et qui annonçait l'arrivée du mastodonte chevauché par le conducteur à casquette et le type tout noir qui nourrissait constamment la bête en bourrant de charbon sa gueule enflammée ! Nous avions largement le temps de nous planquer dès que nous entendions cette espèce de gros ronron en essayant de calculer à quelle vitesse se déplaçaient les sons par le métal des rails ! Chercheurs scientifiques, en plus ! Dès que le train était passé, nous nous précipitions pour toucher ce gallet devenu poussière brûlante écrasé par les roues puissantes, reniflant son odeur de pierre à fusil !!! nous avions la certitude qu'en en récoltant assez nous pourrions faire du ciment pour construire la niche du chien avec des bouts de planches trouvés chez le Père de Riri !  Quand nous avions la chance de trouver un beau grand clou à poser sur les rails, c'était la fête, car nous le retrouvions aplati jusqu'à l'extrême possible, brûlant et brillant comme de l'argent...

 

Tout près de là, il y avait le cimetière ! avec le coin des petits anges, toutes petites tombes fleuries de blanc.  Une vague tristesse nous tournait autour, mais nous laissions le mystère de ces morts enfantines aux adultes...Les perles des couronnes mortuaires mises au rancart avec les pots de fleurs fanées, devenaient colliers et broches entre nos mains; les couleurs en étaient plutôt tristes, pas très  inspirantes, alors nous lâchions vite ce jeux ! Durant les soirées du mois de Juillet nous allions courir ente les tombes pour exciter les "pipivenvents", ces petites flammes vertes qui s'élevaient des tombes et nous couraient après durant quelques secondes.. La chaleur très forte durant les journées de juillet provoquaient la libération de gazs de décomposition des cadavres. Nous courrions en riant et chantonnant pour amuser les flammes vertes ! et nous montrer que nous n'avions pas vraiment peur ! Mais pour rien au monde nous n'y serions allés touts seuls !

 

Mes frères allaient le jeudi matin chez Cabut, bouchers père et fils, pour les regarder tuer le cochon et les aider parfois à de menues tâches et recevoir du saucisson "en étrennes". Et moi j'allais de temps à autre chez Jacques le patissier à son retour des marchés, faire la vaisselle de ses moules pour avoir droit à un éclair au chocolat en récompense. Les jumelles piégeaient des orvets dans l'herbe, se les enroulaient autour des poignets pour faire peur aux vieilles dames assises sur le pas de leurs portes ! Les soirs d'été, nous avions le droit de rester dehors très très tard, nous la vingtaine de gamins du village, pour jouer sur le pont de singe que nous nous étions fabriqué entre les branches des tulipiers de Virginie sur la place herbue du forgeron, avec de vieilles chambres à air données par le Père Buchaille, cycles en tous genres ! Les contours du village devenaient comme flous et nous nous nous mettions à vivre des aventures géniales, terrifiantes et belles, avec des troupeaux d'éléphants en marche vers nous, des crocodiles dans l'herbe guettant la proie malhabile à se déplacer d'un arbre à l'autre. Mais il y avait toujours un chevalier pour protéger les filles, un héro pour sauver les imprudents de la gueule affamée du crocodile ! en faisant bien attention de ne pas mettre les pieds sur un crottin de cheval car les tulipiers avaient été plantés sur la place devant l'atelier du forgeron, les fermiers trouvaient bien pratique d'y attacher leurs animaux ! Inutile de vous dire à quel point l'herbe était belle, épaisse et douce pour y installer les parcs des bébés dans la journée, tout de même protégés du sol par une couverture !

Nous étions tous, adultes et enfants, pleins d'une respectueuse gratitude pour monsieur Billaudis, le serrurier installé près de chez nous. Vers la quarantaine, il avait réuni assez d'argent pour s'offrir un voyage au Canada et en Amérique, son rêve depuis si longtemps nourri par la musique de Jazz qui habitait littéralement ses oreilles à longueur de journées dans son atelier. Il était revenu au village, "plein d'usage et raison" en rapportant dans ses bagages 10 pieds de jeunes tulipiers de Virginie, qu'il avait offerts à la commune et plantés sur la place avec l'aide du cantonnier-à-tout-faire ! Les tulipiers avaient grandi, faisant l'orgueil de tout le monde et le bonheur des enfants ! Au printemps, nous allions souvent admirer leurs étranges fleurs qui nous semblaient pleines d'exotisme.... Les tonitruantes crises de paludisme d'un sergent passé par l'Indochine et ses combats, complétaient par ses récits nos idées sur l'exotisme ! ça nous suffisait bien en ces temps là, et nous faisait considérer la visite dans ces pays lointains où nous avaient emmenés un ou deux pélerinages de la paroisse, à 20 km de là, comme de grandes aventures à hauts risques et découvertes surprenantes ! La visite au curé d'Ars dans sa chasse transparente ne manquait pas d'alimenter ces impressions, ni les histoires qui courraient sur un autre saint missionnaire, né dans la région il y avait dans les 100 ans en arrière !

 

A l'automne, quand les feuilles des tulipiers se couvraient d'or roux, nous les filles nous nous faisions des robes de princesses en assemblant les feuilles à 5 pointes en longues bandes que nous "cousions" entre elles pour former corsages, jupes à longues traînes, courronnes, et coussins bourrés d'herbe ! La couture était des plus simples : d'un coup sec des ongles, nous coupions la tige ferme de la feuille, et nous nous en servions comme si c'étaient des épingles ! Nos robes pouvaient durer 2 ou 3 jours sans être fanées ! Et pour paufiner le style princesse, nous allions cueillir une ou deux fleurs de géranium sur le rebord d'une fenêtre, ensuite c'était tout un art ! il fallait lécher copieusement l'envers du pétale, couper sa petite pointe, poser le pétale sur un ongle en le faisant bien adhérer, puis il fallait le modeler sur la forme de l'ongle sur lequel on l'avait collé, et le découper sans l'abimer en en suivant bien le modelé... Je ne vous dis pas combien il était difficile de bien réussir l'ongle du petit doigt, celui qui écoute les secrets au creux de l'oreille ! Je ne vous dis pas non plus comment nous étions fières de nos travaux ! Si nous gardions les doigts raidis et bien écartés, nous arrivions à avoir bien 3 heures devant nous pour parader et nous faire admirer dans la rue... Jamais je n'ai retrouvé de vernis à ongles aussi beaux ! Des rouges piquetés d'or, des roses sertis de nacre, des mauves plus lumineux que le ciel du couchant ...

 

Comment aurions-nous pu devenir des adultes aux c..ls pincés, trop cérébraux, matheux, peureux et sans imagination ?!!!? Nous étions partout chez nous, dans notre village, au milieu des maisons et des fermes, et des gens que nous connaissions tous. Surtout, nous étions tous un peu leurs enfants. Dailleurs ils ne se privaient pas de nous gronder comme leurs propres gosses quand ça dérapait dans nos têtes et que nous faisions des bêtises ! Ils ne cherchaient pas à supplanter l'autorité de nos parents, simplement ils considéraient tous que c'était à chaud qu'il fallait stopper nos ardeurs interdites ! Si nécessaire, les parents reprenaient avec nous les circonstances de nos idioties pour bien nous mettre dans la tête nos droits, nos libertés et nos devoirs D'une manière ou d'une autre, nous nous considérions tous un peu comme des frères et soeurs, d'autant plus que c'était la même sage-femme qui avait présidé à toutes nos naissances dans les lits des parents !

 

Et la mère du curé ! Pendant que son fils en chasuble faisait son sermon du haut de la chaire, elle, elle mijotait le civet dominical et surveillait le gateau de Savoie qui gonflait ses grosses joues dorées et moelleuses dans le four de sa cuisinière, son tablier de satinette fleurie plein de farine. Elle me guettait vers 11 h 10, car il fallait passer devant le muret du jardin du presbytère pour arriver jusqu'à l'église. Elle me faisait signe depuis le seuil de sa cuisine, et moi je n'attendais que ça ! "Viens donc, tu me diras si le gateau est asssez cuit ! Le curé fait son sermon. Tu iras après !"  C'était bien d'avoir un fils curé, mais ça n'allait pas lui donner des petits enfants ! et puis elle aurait bien aimé avoir une fille auprès d'elle ! En attendant l'ouverture du four, je contemplais la bouteilles de gnôle sur le buffet, dans laquelle gisait une vipère enroulée sur elle-même. Elle avait craché son venin au moment où on l'avait introduite dedans, vivante. Cette gnôle servait au père du curé pour se frotter les genoux quand ses douleurs étaient trop vives. Au moins la religion n'était pas coupée de la vie !

 D'autant plus que lorsque l'une d'entre nous recevait une poupée en cadeau nous allions en coeur sonner au presbitère pour lui demander de baptiser la poupée !  Ce qu'il faisait volontiers en nous emmenant sur le parvis de l'église pour lui donner une bénédiction en l'appelant par le prénom que "la petite maman" lui avait indiqué, et nous offrir les dragées des baptêmes et des mariages qu'il avait gardées pour nous ! Quand nous voulions jouer au mariage, c'était à Raymonde, la femme du docteur à côté de la mairie et de l'école que nous nous adressions dans son jardin... Elle crochetait en vitesse deux alliances en fil mouliné blanc, sortait le bout de rideau transparent qu'elle gardait en réserve pour parer la tête de la mariée et nous faisait ranger en cortège, les mariés en tête, pour faire le tour du jardin en écoutant ses bons conseils de vie sage, grignotant des fraises ou des framboises au passage ! Puis elle nous offrait des "croquets", biscuits maison qu'elle préparait avec la riche peau du lait des bonnes vaches de nos grasses prairies de Bresse !

 

Mais ça,  les baptêmes des poupées, c'était du temps du précédent curé, un vieillard à la belle barbe blanche, aussi beau que Victor Hugo nous disait mon père ! Il était l'oncle de Jean-Claude le nouveau curé, avec ses idées de progès dans le ministère de l'églie ! ce qui faisait bien rire en douce les vieux chantres vissés à leurs bancs réservés et à leurs chants puissants matinés de patois bressan quand ils ne comprenaient pas trop les paroles en latin !!! Notre vieu curé pêchait des poissons à la nasse pour nourrir son chat qui lui en faisait pis que pendre ! Et nous, pour faire bonne mesure, nous libérions les poissons dès que nous en voyions pris dans la nasse. D'abord par charité chrétienne pour les poissons. Et pour les mettre dans notre propre nasse ! Le curé n'avait qu'un seul chat à nourrir. Mais nous, nous étions au minimum 5 à 7 enfants à table ! Nous étions des enfants conscients des réalités de la vie et responsables ! C'était facile de faire ces tours de passe-passe, nos jardins et nos accès à la rivière se touchaient. Nous étions des enfants très joueurs, tout de même responsables et bien conscients des réalités de la vie ! Si bien que lorsqu' on nous envoyait ramaser un plein panier de jeunes pissenlits dans le pré du Chateau à côté de la maison, nous en faisions un autre jeu au grand air, nous demandant bien qui était cet Henri IV qui avait fait raser le chateau fort construit dans ce pré rond entouré par les douves pleines d'eau de la rivière...  Nos mémoires pas encore bien affinées n'avaient pas trop de profondeur ni d'épaisseur, et nous faisaient ranger le roi Henri IV sur les mêmes rayonnages de "la boutique aux souvenirs" que la vie de l'arrière grand père qui avait fait 14-18 ! Henri IV et sa poule au pot ? Il devait être de chez nous, le pays des poulardes !!! Nous étions tout de même fiers de manger de pleins saladiers de ces corolles vertes si gouteuses avec les oeufs durs des poules de la mère Brunet toujours prête à nous tomber dessus en criant si nous approchions de son enclos...Elle avait trop peur que nous ouvrions en douce la petite barrière pour sortir les oeufs des nids et les gober encore touts chauds.

 

Comme nous étions une famille nombreuse d'enfants vivants à peu près tout avec les autres enfants, d'instinc nous nos étions trouvé des oasis de tendresse rien qu'à soi, en la personne de vieilles dames ou de couples un peu âgés trop heureux de cajoler encore un enfant en lui faisant faire ses devoirs après l'école, en partageant une assiette de pâtes à potages ! De toute façon cette soupe ne nous coupait pas l'appétit, car nous avions l'appétit assez robuste avec cette activité débordante que nous manifestions !

Moi, j'étais la filleule de Pauline et de Henri son mari... Mariès sur le tard à la même date que mes parents, ils n'avaient pas pu avoir d'enfants. Comble de la chance, j'étais née le jour de l'anniversaire de Henri ! Il aimait bien installer mon landeau dans leur épicerie, près du gros poêle ronronnant bourré de sciure ! ça arangeait bien mes parents qui avaient à faire marcher le laboratoire d'analyse et de fabrication de produits pharmaceutiques, et la pharmacie ! Quand j'ai pris quelques années, j'ai découvert les gros sacs de jute aux bords roulés pour laisser voir les céréales dont ils étaient pleins, et j'enfouissais mes bras dedans, sentant avec délices les grains rouler sur ma peau... J'adorais voir mes bras poudrés de cette poussière blonde des grains dont je reniflais les parfums à pleines narines...C'était d'une incroyable sensualité ! Plus encore que le sac de paillettes qu'un vieu monsieur fabricant d'aiguilles à tricoter m'avait offert pour un Noêl... Entre 1930 et 1940, il avait cousu de mirifiques plastrons de robes pour les belles de la soierie Lyonnaise. Et quand il avait pris sa retraite, il m'avait apporté ses restes de trésors colorés et scintillants. Je savais que certains étaient fabriqués à partir d' écailles de poissons, mais j'en ai oublié le nom. Dommage, car c'était vraiment très beau !

 

Quand je me rappelle les planches à roulettes que se bricolaient mes frères, j'entends encore le "grrr grrr grrr" des roulements à bille de ces roulettes sur l'asphalte, lancés comme des bolides dans la descente du Pré Sauvage ! J'étais éperdue d'admiration devant ces petis bolides. Mais c'était peut-être plus exactement devant le Maurice aux taches de rousseurs, fournisseur bienveillant de ces roulements à billes usagés "trouvés" dans l'atelier de son papa, cycles en tous genres ! Mais tout de même, c'est Patrick que je préférais, mon jumeau de coeur qui venait en vacances au temps des glycines chez sa grand mère.  Nous n'avions aucun secret l'un pour l'autre, et parfois nous échangions de touts petis bisoux encore très enfantins, en partageant nos idées et construisant ensemble notre cabane perchée dans les branches des saules têtards au bord de la rivière, comme le faisaient la plupart des copains du village.

Les saules têtards ! impossible de penser à notre enfance sans penser à eux ! en particulier aux sauts dans la rivière que nous faisions aggrippés aux branches souples, nous balançant pour jouer avec la peur, et Plouf, un saut tout habillé dans l'eau ! Il y a bien une fois où mon frère Doudou est malencontreusement tombé sur les fils de fer barbelés du champ en bordure.... 17 points de suture pour recoudre la petite jambe du casse-cou. L'estafilade s'était heureusement arrêtée juste en haut de la cuisse. Il fallait le voir ensuite claudicant joyeusement pour essayer de suivre les autres, la jambe entourée et protégée de la poussière par un carton ajusté à sa taille, scotché au sparadap pour que ça tienne. Papa n'allait tout de même pas  lui faire un plâtre, tout pharmacien qu'il était ! Cétait bien trop lourd pour courir ! Et puis au moins, ça respirait !

 

Papa me demandait parfois de l'aider pour enlever des micro-particules et des gravillons des plaies que se faisaient des gens, affolés à la vue de leur sang... Alors, je nettoyais les plaies, sans m'affoler, bien consciente de ma responsabilité, et même asez contente de pouvoir le faire de mes doigts encore touts menus ! Il m'arrivait aussi d'avoir à surveiller des gouttes à gouttes, chez des vielles dames cardiaques... J'étais toujours vivement intéressée par l'aigulille enfoncée en biais dans la cuisse, étonnée que la peau du corps de la vieille dame soit aussi fraîchet et claire, alors que son visage était parcouru de rides...J'avais pour mission de traverser la place en courant pour aller chercher papa si le liquide s'érrêtait de couler de la grosse ampoule ! Il n'y avait pas de téléphone dans les maisons !!! Les bulles du liquide me paraissaient très joyeuses  !

 

C'était notre monde de gosses. Nous expérimentions la vie en la vivant à plein, avec appétit, de toutes sortes de manières, et dans toutes ses dimensions. Nous avons engrangé une foule d'expériences, de sensations, de sentiments, ainsi que les lois de base qui font le cadre de toute existence sous différentes formes d'autorité, protectectrices et rassurantes, en premier lieu celle de nos parents qui ne trouvaient rien à redire quand d'autres adultes nous remettaient sur nos pieds après un dérapage de gosses....Monsieur le Maire tenait un rôle important, presque central pour la vie quotidienne de la communeauté du village, tandis que le curé, lui, s'occupait plutôt des âmes. La vie tournait autour du clocher qui donnait un axe au village, avec à peu près les mêmes références et repères pour tout le monde. Baptiste, le garde champêtre, battait le tambour pour donner les notifications du Maire, les règles récemment décidées en Conseil Communal, les nouvelles des fêtes en cours d'organisation. Il était le frère de Ninine, notre nounou toujours en soucis de nous, prête à faire une tartine, un calin, un compliment ou à nous ramener gentiment à la raison s'il le fallait !  Bien plus tard, j'ai réalisé que Baptiste et Ninine m'ont permis d'avoir  une image assez sympatique, juste et sructurante des fonctions du Surmoi au cours de mes études, formations  et cures analytiques !!!

En fait, nous nous faisions des réserves de bonne grosse santé mentale et physique, intégrant sans trop de mal les interdits, les tabous,  et les impulsions fécondes de notre imaginaire pour les amener à une concrétisation suffisemment épanouie, réjouissante.  Je baignais personnellement dans un monde familial où l'on parlait de méditation, du bouddhisme et du Tibet, du Dalaï-Lama que l'on appelait un dieu vivant à cette époque là, de psychanalyse en échangeant des idées sur l'inconscient, le ça, le moi et le surmoi, où mes parents et leurs amis pratiquaient les arts martiaux des jeux olympiques de la Grèce antique au cours de vastes pic-nic au bord de la rivière... J'admirais mon père lançant le disque et le javelot...Il nous lisait souvent des pages de Montaigne et de Rabelais, le soir après le dîner tandis que nous dégustions une boule de glace à la vanille nageant dans un océan de lait Gloria sucré ! Plus tard il nous a fait participer à la création de ses films, son passe-temps favori. C'était magique ! transformer la lumière en images, des petits bouts d'images fixes donnant l'impression du mouvement !

 J'admirais les broderies si raffinées de maman, les smocks de mes petites robes soigneusement cousues par les "folles" de l'hopital psychiâtrique où exerçait "docteur Doudou", le parrain de mon frère Doudou. Je le prenais comme une sorte d' oncle tant mes parents et leurs amis vivaient proches, et je pensais que Freud était un de ses frères ! Aller essayer mes robes chez "les folles de la Madeleine" m'a permis de me familiariser, au moins un peu, avec la folie. Le bouhaha continuel qui y régnait, fait de cris, de plaintes et de pleurs me laissait pleine de questions qui allaient m'accompagner plus tard...

Tout cela fut un terreau extraordinaire pour grandir, arriver à la vie adulte, sans doute un peu "innocente" par certains côtés, mais parée pour m'interresser et comprendre beaucoup de choses en les accueillant surtout avec l'intelligence du coeur développée dans cette vie au village avec les autres enfants, sous le regard bienveillant des adultes. Cette vie m'a amenée à aimer beaucoup de gens, et à surmonter beaucoup de difficultés !

Cette vie où se tissaient les savoir faire et les savoir-être aux connaissances scolaires abstraites, qui nous semblaient parfois de haute voltige comme les équations à virgule, cette vie donc, nous donnait un premier goût nécessaire à la maturation de nos caractères encore bien jeunes. Comme tous les enfants nous étions toujours pleins d'émotions, à fleur de pulsions et d'imaginations. Apprendre à lire, à écrire, à compter et commencer à entrer dans les récits de l' Histoire, de la géographie, etc...cela nous aidait à s'élever un peu au dessus de touts ces mouvements intérieurs, à les maîtriser en découvrant le monde des abstractions ! Cette maturation nous donnait peu à peu possibilité de faire appel à notre intelligence mentale pour apprendre à maîtriser nos émotions et appréhender différemment les diverses situations.

 

 Tout cela a formé un terreau très riche où se nourrissent encore mes besoins d'évolution, de recherches de la vie de l'esprit, de la vie intérieure à l'écoute de l'absolu...Tout en étant dans la conscience du partage, de l'entr'aide, de l'interdépendance entre tous, car nous constations de par la vie même dans ce petit village combien chacun est indispensable aux autres et dépend d'eux par son métier, son style de personnalité, créant ainsi une harmonie bienfaisante pour tous en huilant les rouages des relations...

 

Nous étions, nous les gosses du village, comme un vol de moineaux qui venaient picorer auprès des adultes tout ce qui passait à notre portée et pouvait nous servir pour jouer, nous préparer à la vie des grands sans en avoir vraiment conscience ! Et c'est bien ainsi ! Loin de moi de vouloir jouer le refrain de "c'était tellement mieux autrefois"... Aux parents actuels de savoir repérer ce qu'il y a de bon dans leur époque à eux, de transmettre le sens de la vie, les devoirs et les bonheurs simples et plus affinés de leur propres vies en les développant d'abord pour eux même. A eux de transmettre leur foi en la vie, la vie active au quotidien et la vie intérieure.... A eux de savoir faire le tri entre les faux bonheurs stériles et la vraie joie de vivre, pour en faire profiter leurs petits et les amener à prendre les chemins heureux.  Ce qui n'exclue pas des dificultés à traverser, ça c'est le karma personel et familial, mais au moins, ça les aide à faire un bon terreau pour ce travail de curage des "rivières intérieures", de dégagement des sources obstruées par le refoulé et les ombres pesantes, les laisser redevenir jaillissantes et fécondantes, canalisées par ce que nous avons appris de la vertu. Du temps des romains le mot "Virtus" désignait la vertu de celui que l'on pouvait considérer comme un vrai homme (Vir), c'est à dire celui qui avait intégré le respect de la vie, de la générosité envers la vie...La sienne et celle des autres...Je ne veux pas chanter les louanges des romains, ça ferait rigoler ma petite fille ! Et dailleurs je me sens plutôt du côté de ces femmes gauloises qui tenaient bien leur place de femmes, mais je me dis que "cultiver la vertu" c'est bien au de-là des cultures, et reste une des grandes affaires de nos vies !!!

Ainsi, les pousses tendres de la vie peuvent se développer, se mette à porter fleurs et fruits ! 

 

 

*** draisine : petit engin qui circulait sur les voies ferrées pour véhiculer du matériel de réparation des rails, par exemple.

 

 

 



17/01/2012
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