marie-martine mestre

MA CRECHE SUR LE DIVAN DE L'ANALYSTE

La, c'est la place de la Petite Marie, frais visage d'orientale voilée de bleu. Juste à côté d'elle, le boeuf qui va lui tenir chaud... Elle en a bien besoin. Sur le point d'accoucher, il lui faudra beaucoup de chaleur pour mobiliser toute son énergie...Les gens du village ne lui ont pas fait de cadeau en tenant leurs portes fermées.  Joseph va se mettre là, pas trop loin d'elle mais un peu en retrait, très attentif à ce qui va se passer, un peu gêné : il n'a pas su convaincre les gens d'ouvrir un coin de leurs maisons pour ce grand évènement de la naissance. Evènement si banal, bien sûr ! Il en nait tellement des bébés même en une seule nuit ! Mais chaque naissance est un grand évènement, pour le père en particulier dans le respect sacré du travail de la Vie dans toute l'étendue de son mystère sans limite. L'âne pourrait s'installer juste devant la couche de paille encore vide... Comme il est allongé pattes repliées, oreilles pointées, il ne gênera pas pour contempler la crêche, la méditer...Le minuscule nouveau-né à peine vêtu, va rester derrière le sapin, pour le moment.  Il faudra l'amener tendrement dans sa couche, le 24 prochain à minuit et permettre aux bergers d'arriver avec leurs lanternes et leurs présents. Quant aux Rois Mages,  ils vont rester encore à moitié cachés par les branches de sapin, semblant avancer en file indienne chargés de leurs précieux trésors...le 6 janvier, ils les offriront à ce petit bébé annoncé dans les étoiles deux ans plus tôt. A ce moment là, il sera temps de les placer autour de la couche où repose le bébé. La petite Marie et Joseph à la belle barbe se retireront un peu plus loin sous les branches de mon gros bouquet de branches aux vertes aiguilles, coupées et rassemblées dans un petit saloir à choucroute, pour devenir mon beau sapin de Noêl qui va apporter de la joie et du bonheur chez moi ! Tout paré de boules et de guirlandes brillantes, l'étoile d'or le surmonte, ses branches un peu retombantes font un joli abri pour la crêche et ses personnages...

 

Comme pour beaucoup, la crêche c'est toute mon enfance ! De l'espoir, du rêve, les chaussures bien cirées au pied du sapin, les yeux qui brillent....Une joyeuse attente doublée d'impatience !

 

Quand j'ai eu 7 ans, la crêche a pris pour moi un sens particulier... Ma maman, ma belle petite maman toute rousse, venait de mourir au terme d'un cancer généralisé, qui avait affreusement labouré tout son corps, dont j'avais suivi la progression en restant auprès d'elle chaque après-midi, chantant avec elle jusqu'à son agonie.

 

Lorsque je suis retournée au pensionnat après les vacances de Noêl, la maîtresse nous a demandé de faire cercle autour de la crêche de papier découpé, posée sur le placard bas contenant les fournitures. Elle m'avait poussée au premier rang. D'une voix très douce, elle a expliqué qu'elle allait me donner la crêche de la part de toute la classe, parceque ma maman était partie au ciel et que j'étais très triste... J'ai pris la crêche de ses mains, mais j'étais très mal à l'aise, embarassée même, je ne voulais pas de cette pitié sentimentale qui détournait ma tristesse de son travail. Perplexe aussi... Pourquoi disait-elle, comme d'autres dailleurs, qu'elle était partie au ciel puisqu'on l'avait mise dans la terre ?  J'aurais voulu expliquer tant de choses que je ressentais, petite fille parfois un peu à part...

Il y eut d'autres crêches, qui nous demandaient au moins une journée, mes frères et moi, pour les construire...Une en particulier fut vraiment réussie : une sorte de grande grotte sombre faite de papier rocher, de mousses, de pierres, d'un petit miroir devenu lac. Les personnages étaient rassemblés sous cet abri, exposant la scène de la naissance...J'avais laissé ouvert le fond de la grotte sur un paysage d'Orient au petit matin rose orangé de l'aube, orné de palmiers frissonnants découpés dans du papier crépon vert tendre qui tenaient debout grâce à des bouts de bois faisant office de troncs...Contraste entre les couleurs obscures de ce qui faisait office de roche et de ces couleurs de l'aube qui semblait promettre une respiration nouvelle.  Une petite ampoule figurait le soleil levant...Cette crêche fut très commentée, admirée... J'y avais mis tout mon coeur de petite fille en travail de deuil, de ce deuil là et d'autres deuils de personnes qui m'étaient très proches, survenus en si peu de temps que l'axe de mon paysage affectif avait basculé à l'image de ce qui était arrivé à la terre perdant son nord primitif...

Les années ont passé, beaucoup d'années...

 

Presque tous les ans j'ai fait une crêche. pour mes enfants, puis pour moi. Pour méditer ce mystère de la naissance lumineuse au coeur de l'hiver, dans la nuit la plus noire de l'année"...En installant la crêche, je n'avais pas le sentiment de "sacrifier" à une simple coutume. Chaque fois que je l'installe, je mets en scène ce "drame" évoqué par les personnages, je le muris, dépassant la représentation et laissant travailler mon esprit au contact des symbole représentés par les divers personnages... Peu à peu une symbolique de la crêche s'est élaborée, évoquant un mandala, devenant opératoire...m'en révélant la dimension spirituelle au delà du religieux.

 

Au centre du drame : ce bébé nouveau-né. Humain, très humain certes. Avec ce quelque chose de spécial qu'il est dit être le fils de Dieu...La jeune femme, Marie la mère. L'homme, Joseph le père. le Féminin, le Masculin, présidant à la formation de ce nouvel être, dans l'émergence de son existence sur terre

 

Et si cette scène de naissance parlait d'une renaissance après une nuit obscure, une période de mort intime, décrivant toutes les forces en jeu nécessaires dans ce processus de vie, de la mort à la vie, de la vie à la Vie.

 

La grottte serait alors le lieu du travail obscur de notre conscience, psychée rendue sans voix, tatonnant en aveugle dans la douleur de la perte de repères et de sens. Marie et Joseph,  Féminin et Masculin, père et mère unis pour que s'accomplisse et soit protégé le travail de renouveau à l'oeuvre au fin fond de l'être.

 

Les gens du village qui rejettent ce couple peuvent alors représenter les repères qui donnaient sens à notre vie jusque là et semblent ne plus avoir cours pour nous, croit-on, quand on est pris dans ce travail de l'obscur. Résistances au changement, désolation extrême de l'errance.

 

Les animaux sont à l'image de la vie instinctive, purement instinctive, qui nourit notre vitalité et nous permet de suivre toutes les étapes du cheminement intérieur. Niveau instinctif de la vie pour qui nous pouvons éprouver beaucoup de gratitude, parcequ'il nous sauve de l'engloutissement dans un rejaillisement infaillible du désir de vivre portant en soi les germes de la transcendance...Ils sont comme une repiration, la respiration qui anime notre cerveau émotionnel, indispensable à la santé de notre cérébralité. Sans doute que la présence de ces animaux avec leurs bergers nous renvoient au niveaux chamaniques de notre psyché

Le boeuf, animal révéré dans l'Egypte Antique, taureau peut-être dans certains cas, symbole de force fougueuse domestiquée pour assurer la prospérité du pays, etc.

L'âne, aussi bien vu comme symbole de la bêtise, symbole satanique d'une sexualité débridée, que comme un symbole de gentillesse, de sensibilité, de réflexion patiente... Il est en fait un symbole de ce qui demande à être initié à des états où la bestialité a été allégée dans ses forces aveugles pour devenir moteur et véhicule de celui qui veut être initié à des niveaux de conscience de plus en plus lumineux, toujours à l'écoute de ce qu'il y a de plus évolué en soi. Preuves en sont ses deux longues oreilles largement ouvertes et frémissantes dresssées vers le ciel... Si le boeuf sait patiemment marcher sur la terre pour tirer la charrue et tracer les sillons de la fécondité intellectuelle, l'âne est un animal fait pour monter vers les sommets d'un pied sûr ! l'horizontalité et la verticalité comme deux forces antagonistes nécessairement complémentaires, permettant que se dévoile toute l'étendue de l'espace intérieur où tout ce que nous sommes en puissance peut se révéler et se manifester comme un grand jeu sans cesse renouvelable à l'infini, à partir de la source....

 

Les bergers donnent une idée de ce qu'on a déjà travaillé en nous, ils gardent les troupeaux en étant dans la contemplation intuitive du ciel, des étoiles et des constellations qui leur indiquent tant de choses au fur et à mesure des saisons... En nous, c'est la contemplation méditative à l'écoute de ce qui peu à peu se dessine dans notre ciel intérieur, tandis que nous surveillons nos "acquis" de maîtrise sur nos tendances et nos émotions négatives en particulier... Ils sentent les choses d'instinct, au plus près de leurs émotions. C'est la raison pour laquelle ils arrivent si vite dans la grotte avec les offrandes des produits de la terre,  de ce qu'ils ont produit eux-même du lait de leurs animaux et de leurs récoltes...

 

Quant aux rois mages, notre nature magicienne,  ils ont pris le temps d'étudier, de prévoir, de réfléchir et de philosopher, en passant d'un savoir instinctif à la connaissance travaillée et maîtrisée, enrichie par des initiations qui les ont fait passer du mode ordinaire de la vie quotidienne au mode symbolique et spirituel de compréhension. Leurs offrandes sont des produits bien plus élaborés par de longs processus : l'or, plomb purifié devenu métal rare,  débarassé des matières lourdes par le travail de l'éthique, l'or que l'on doit devenir, royauté à déployer dans notre monde intérieur où l'amour-compassion se dépouille peu à peu de l'égocentrisme. L'encens, composé savant de plantes et de minéraux qui dégage des vapeurs odorantes,  aide à l'évolution de l'esprit. La myrrhe si précieuse qui soigne et embaume, dans le sens du corps mortel à soigner.....

 

Bergers et rois mages ne sont pas étrangers les uns aux autres mais les deux versants de l'évolution, de ce que l'on doit apporter au processus de renaissance ! Dans une tension permanente entre une vitalité bien incarnée et une spiritualité exigente. L'un ne peut exister sans l'autre, sous peine de stérilité de l'âme, de la conscience, de l'esprit. sous peine d'extinction progressive de la lumineuse fécondité de l'esprit.  Lorsque l'on rejoue ce "mystère" en installant la crêche, au sens des mystères du moyen âge, surtout en en respectant les différentes phases dans le temps, on revivifie toute notre ardeur et notre ferveur devant le mystère de notre propre cheminement.  Si l'on veut bien se dégager d'une vérité qui serait dîte historique, ces archétipes jouent pour nous le rôle de ferments, de cristalliseurs, dont nous ne pouvons que contempler le travail étonnant en méditant dans le silence.  Un peu comme lorsque l'on médite devant un mandala, après avoir reçu l'initiation et les enseignements nécessaires, jusqu'à le vivre dans son corps des souffles.

 

 Le bébé dans sa couche de paille, dont les fétus font comme des rayons de lumière autour de lui, n'est autre de ce "je" qui renait, semblable à celui qu'on était et cependant devenu nouveau, comme pétri par l'or de l'amour...l'être manifestant son essence.

 

 Et l'étoile qui brille au dessus de la crêche après avoir guidé les rois pendant deux années de pélerinage ?  Devinez !!! en tibétain, étoile se dit "karma" ! alors, vous devinez ? c'est peu-être notre destinée, notre karma...  Ces deux années de pélerinage font penser aux deux années de deuil extrême qu'on faisait prendre aux femmes devenues veuves, les vêtant de robes et de longs voiles noirs, autrefois dans mon village...Mais aussi aux deux premières années de retraite dans la tradition du bouddhisme tibétain...Ce pélerinage des rois mages, comme un humble chemin où tous les savoirs, les sciences sont utiles, mais seulement à titre de moyens, jamais comme but. Depuis Saint François d'Assise, ces archétypes animent notre inconscient collectif. Même si à titre individuel notre inconscient est porteur d'images et dexpériences différentes, plus personnelles correspondant mieux à l'histoire de notre vie, nous ne pouvons nier que nous baignons dedans, que nous en sommes nourris, que les greniers et les caves de nos palais intérieurs regorgent de ces "provisions psychiques et spirituelles" dont nous aurions bien tort de nous priver, surtout si l'on s'y retrouve !

 

Tout à l'heure, devant la crêche, j'ai allumé trois bougies, pour l'éclairer...

Trois, comme la trinité. Trois, comme les trois Joyaux.

 

Cette vieille dame que je suis devenue depuis la petite fille de 7ans décidée à comprendre la vie, regarde cette petite fille avec beaucoup de respect et de tendresse pour le voyage qu'elle a entrepris, prenant à bras le corps le plomb de sa tristesse pour en tirer l'or de la joie. C'est ce qui me fait regarder et accompagner avec ce même respect et cette tendresse les enfants devenus grands que sont les adultes en demande d'évolution, en demande de vie Vivante. Jamais le travail intérieur d'un être allongé sur le divan ne se fait pour défendre des savoirs ou des idées, mais pour amener à l'existence l'expression de sa Joie Vivante ! 

 

" Il est né le divin enfant ! "

 



18/12/2011
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