marie-martine mestre

PETER PAN INCOGNITO

…..Peter Pan, l’enfant qui a décidé de ne jamais, jamais grandir… Il a perdu son ombre et se réfugie dans un monde à lui… Tout le monde sait qu’il s’agit d’une histoire inventée, comme d’un conte…Pourtant, il y a quelques Peter Pan parmi nous tous, bien vivants… Enfin, vivant plutôt mal, se barricadant dans leurs bulles à l’image du héros de l’histoire avec la fée Clochette,ses copains dont il est le Chef et le capitaine Crochet

 

Pas facile de les repérer ces Peter Pan en chair et en os glissés dans notre société. Sans doute parce que leur attitude préférée, c’est une sorte de transparence ! On dit que notre société n’est pas du tout sécurisante, qu’elle est de plus en plus complexe, et favorise leur apparition…Ce serait même un des maux psychologiques de notre époque, rançon d’une difficulté à vivre de plus en plus grande chez ceux qui sont les parents, désorientés, décalés et décentrés…

Freud avait bien mis en évidence ce qu’il a appelé le complexe d’Oedipe…Rien de bien nouveau sous le soleil : il faisait remonter l’origine historique de ce complexe à la Grèce  antique….Et depuis Freud on sait tout de même bien le repérer et travailler avec pour aider les enfants à ne pas trop s’y laisser prendre en  permettant  à cette phase normalement temporaire de durer et de développer un retard affectif qui risque bien de gâcher une partie de leur vie d’adulte… Pour un adulte empêtré dans son histoire entre Papa et Maman, un bon divan, un bon psy, un bon engagement personnel dans la cure, ça devrait lui permettre de dénouer ce complexe trop bien installé …Et bienvenue au bonheur de vivre en devenant l’auteur créatif de sa vie !

 

Pauvre « Peter Pan », pour lui ce n’est  pas aussi « simple » !  (Simple pour l’Oedipe? ça, c’est à voir, mais on commence à avoir une solide expérience !)

En fait, le « complexe de Peter Pan » n’est connu jusqu’à présent que comme le « syndrome de Peter Pan et ce depuis assez peu de temps. Les années 80, à peu près….Il n’y a pas de cela si  longtemps, les enfants représentaient une force de travail pour les parents.. Il fallait aller donner à manger aux lapins, nettoyer la voiture, désherber les betteraves ou encore porter la soupe à la Mamé...voire accomplir des tâches plus pénibles en grandissant…En fait, ils apprenaient à devenir responsables et peu à peu autonomes… Mais voilà, tout cela s’est inversé, et les parents se croient obligés, et ils le deviennent en quelque sorte, d’offrir un maximum à leurs gosses, sans vraies contreparties… Pourtant, en 1953, un film de Federico Fellini : « Les Vitelloni » avaient montré des portraits de Peter Pan. Aucun d’entre eux ne voulaient travailler, vivaient au crochet des parents, irresponsables face à la vie, en particulier face à une grossesse surprise…L’un d’eux est un portrait très ressemblant du complexe de Peter Pan, toujours dans l’ombre, fuyant systématiquement la vie adulte….Mais je crois bien qu’à cette époque là,  les mamans, italiennes étaient bien contentes, dans le secret de leurs cœurs, de garder « leurs petits » pas trop loin de leur emprise… Il était rare que leurs hommes les voient  autrement que des Mamas, alors elles satisfaisaient leur besoin d’amour en gardant « petits » leurs fils, le plus longtemps possible. Même si elles piaillaient le contraire ! C’était si habituel, ça l’est encore souvent dans les cultures latines, qu’on ne voyait pas trop cela comme un dérèglement de la maturité !

 

 Qui dit syndrome dit un ensemble de signes, de symptômes qu’il va falloir repérer avant de pouvoir aider une personne, d’autant plus que notre Peter Pan n’a pas vraiment conscience de ce qui se passe pour lui…Il a perdu son ombre, c'est-à-dire qu’il a perdu son point de vue dualiste sur  lui-même,  c'est-à-dire qu’il a vraiment enfoui une part de son âme, une part très souffrante, après avoir décidé, plus ou moins inconsciemment, de la reléguer en la déniant, en perdant la conscience de ses manques.

 

Qu’est-ce qui va caractériser un « Peter Pan » ?

 

Au fur et à mesure qu’il grandit, il évite les engagements que la vie nous amène progressivement à prendre… Socialement, il réduit au maximum sa surface, en restant le plus irresponsable possible et dépendant d’une bonne âme qui le prendra en charge… C’est surtout parmi les hommes que cette pathologie se repère, et la femme qu’il se choisira ou qui le choisira plutôt,  sera pour lui la bonne mère à laquelle il restera accroché parce qu’elle représente une sécurité affective, matérielle, sociale…Ses enfants risquent bien de lui renvoyer des impressions de rivalité, au risque de devenir un de leurs bons copains, joueur, affectueux etc. mais pas vraiment Père, celui qui dit la loi, qui montre la vie dans ses différentes étapes. Il les a squeezées, les étapes, il ne peut pas trop les faire connaître par son histoire racontée aux siens… Et gare si l’épouse cesse de se comporter en mère, en se libérant de ce penchant à la «maternance » pour devenir une femme qui cherche à épanouir ses talents et son indépendance affective, émotionnelle. Pour lui cela équivaudra à un naufrage…..

Il se révèle très immature émotionnellement, soit qu’il cache ses réactions sous une apparente froideur, soit que ses émotions se manifestent de manière exagérée. Ex : s’il est joyeux, son attitude frôlera l’hystérie, s’il est en colère, il exprimera une rage incontrôlable… Tout comme les enfants complètement immergés dans leurs émotions, sans recul… Bien sûr, j’ai grossi le trait pour qu’on se rende compte de cette manière de vivre ses émotions, soit en les bloquant, soit en leur laissant prendre toute le devant de la scène en s’amplifiant….

Dans sa manière de voir la vie, de faire des choix, il fait preuve d’un certain infantilisme, il est souvent assez solitaire car il évite le contact avec les autres pour ne pas mettre en danger cette vision infantile du monde et des relations…Lorsqu’il le faut il est tout à fait capable de copier les autres, mais préfère son monde…Et justifie ses choix, ses explications par une pensée magique pas très rationnelle…..Il a également développé une capacité qui frise à l’art, en se racontant des histoire à partir de ce qu’il voit ou entend, tout en ayant l’air d’être présent… Il se fait des B.D. dans sa tête, pas forcément très gentilles, quand la réalité autour de lui devient justement trop… réelle et lui demanderait une vraie implication sans fuite… Cela se voit aux mouvements de son iris qui se rétréci et devient fixe, comme s’il avait deux regards, face aux gens entre autre…C’est sa manière, une parmi d’autres de se protéger des autres, de la réalité, en ayant l’air de participer, mais en fait en se retranchant dans ses BD !…

 Le pire pour lui, c’est une tendance assez forte à la procrastination…Il s’agit de cette attitude qui nous pousse à remettre au lendemain ce que nous voudrions faire ou ce que nous devons faire. Bien sûr, nous connaissons tous peu ou prou cette attitude à certains moments…Mais cette attitude devient pathologique chez notre Peter Pan, en étant presque continuelle,  lui causant un gros inconfort personnel, pour lui-même et surtout dans ses relations… On ne sait jamais quand il va se décider, ni comment il va se décider…Difficile de faire un projet avec lui, de travailler avec lui, de compter sur lui, dans ces conditions…

 

Arrivés à cette constatation à propos de son caractère, nous pouvons bien sûr le laisser se débrouiller dans sa bulle, tout simplement parce que on en a marre, et c’est légitime… Mais il faut savoir que la procrastination et les divers symptômes qu’il manifeste, sont les résultats d’une profonde anxiété, d’une très faible estime de soi, souvent compensés par des phrases qui veulent masquer cela, fruits de la pensée magique….Il a beaucoup de mal à se séparer de son enfance qui fut sûrement difficile, compliquée…Pour s’en sortir, c’est là, déjà à l’âge de l’adolescence, qu’il a évacué de sa mémoire le plus difficile qu’il a rencontré, ne ressentant plus du tout les affects…C’est là aussi que par moments, il a traité avec ses attitudes de procrastination en faisant à certains moments preuve d’impulsivités soudaines, en plein dans la pensée magique..…

Souvent, mais ce n’est pas systématique, il fut un enfant gâté devenu un enfant roi puis un enfant tyran qui veut mener ses père, mère, et toute la suite familiale suivant sa fantaisie, ses désirs, ses impulsions, jamais satisfait….ça peut durer très longtemps… Les Peter Pan ont d’ailleurs un goût prononcé pour vouloir mener leur monde, comme Le Peter Pan du conte est le meneur de bande sur l’île du jamais, jamais, car il ne peut se plier aux impératifs de la vie, aux demandes des uns et des autres, sans avoir l’impression qu’il va en mourir, ne plus exister en tant que ce rôle orgueilleux et narcissique… Aussi devient-il transparent (trans parent ?) afin de sauvegarder cette ambiance, ce goût de son royaume intérieur d’enfant…

 

Il a été un enfant plongé dans une grande souffrance, pas réellement reconnu dans sa réalité, n’ayant pas de vraie place, même si et justement parce que il a pu éventuellement être un enfant roi et devenir éventuellement un enfant tyran… Celui à qui on offre le maximum pour se déculpabiliser, se satisfaire etc.. mais pas suivant les besoins réels de cet enfant : limites, reconnaissance, repères, éducation véritable…Tout ce qui l’aide à se structurer pour grandir…Car la toute puissance dont il va faire preuve , même si elle est masquée, « rentrée » avec toute la rancœur et l’amertume, le sentiment de n’être rien et la profonde insatisfaction qu’elle génère peu à peu, ne permet pas d’intégrer les contraintes, les frustrations, et prépare sans doute à de plus grandes souffrances au fur et à mesure qu’il devra se confronter au monde, à diverses situations et aux autres…Il préfère rester dans sa bulle enfantine, même adulte, sans avoir de deuils à faire…Ce qui va l’amener à développer des conduites à cause desquelles il ne trouvera pas de bonheur de vivre. En particulier dans ses relations « amoureuses ». Soit il couchera à droite et à gauche sans vraie puissance sexuelle, fréquemment  éjaculateur précoce, ni attachement de cœur, soit il pourra devenir dépendant d’une compagne destructrice, ou se privera carrément de sexualité, la laissant endormie au fond de lui… Il pourra devenir très dépendant de son métier, s’activant et se prenant pour le sauveur des situations… en fait développer une addiction qui lui permettra de ne pas entendre gronder son ombre de plus en plus fort…Jusqu’au jour, en général passée la quarantaine, où commencent les accès d’anxiété de plus en plus profonde, de souffrances morales intenses cachées dans les replis de la « persona », les peurs d’être seul, de plus en plus seul malgré ses subterfuges…Il faut que Peter Pan prenne conscience que ça ne va pas, et prenne conscience de sa souffrance… Et là, on peut se dire que la guérison va commencer, certes en prenant du temps, mais elle pourra se faire… Car elle ests très simple, en fait, tout en demandant de la patience pour inverser la vapeur…

Il faudra qu’il trouve quelqu’un, plutôt un psy, qui l’aidera à exprimer ses douleurs de toute sorte en acceptant de passer au-delà des subterfuges trompeurs sur son « bonheur ». Il faudra que cette personne sache l’aider à se sentir aimable en l’aidant à réparer ses manques, à restaurer une confiance en lui-même. Ce sera la première étape…Difficile, car il faudra prendre conscience des illusions, abandonner le rêve. Mais ce n’est qu’à ce prix que Peter Pan deviendra un être humain capable de remettre à plus tard la satisfaction de ses besoins, mais là il ne s’agit plus du tout de procrastination ! Capable également d’entendre les besoins des autres et de les soutenir,  sans fuir et se réfugier dans cette transparence qui donne à penser qu’il n’existe pas dans ce monde que nous partageons…Il faudra l’aider à accomplir cette avancée dans la vie adulte en lui montrant les règles, les repères partagés, en lui faisant des demandes précises en s’attendant et en exigeant qu’il les satisfasse, et qu’il apprenne également à en faire ! Il sera très important, voire fondamental, de ne pas se laisser apitoyer, car c’est une de ses attitudes infantiles à transformer, Il sera également rès important de ne pas prendre en charge ses problèmes, car il doit apprendre à les résoudre par lui-même et y trouver de la satisfaction voire du plaisir… Il a besoin d’être soutenu et apprécié pour progresser, mais pas du tout comme un enfant que sa Maman félicite en lui disant « tu me fais plaisir, maman est contente et fière ! » Il a besoin d’être remercié en adulte, en lui faisant ressortir à quel point c’est satisfaisant pour son entourage de travailler avec lui, de mener un projet avec lui, de pouvoir compter sur lui… Il a besoin d’apprendre à relativiser l’urgence et l’importance de ses besoins impulsifs, névrotiques, il a besoin d’apprendre à accueillir ses émotions, sans s’y noyer, en les menant pour donner de la sève, de la vie à ses actions… Il apprend ainsi à s’apaiser dans son rapport au monde, à composer avec sa douleur et la frustration… Une fois le lien douloureux à son enfance retravaillé, apaisé, il peut alors quitter les liens pathogènes qui l’enchaînaient, à la boisson, la drogue, à une sexualité compulsive ou jugulée au maximum, à une conjointe maltraitante, la suractivité ou l’intellectualisme à outrance…

Pour notre Peter Pan en chair, en cœur, et en esprit, il s’agit de s’ouvrir au monde, à offrir ses capacités et la force de son coeur, d’apprendre à recevoir des autres dans une vie de partage…Ce sont les hommes en général qui souffrent de ce syndrome, mais on peut le remarquer également chez des femmes, bien sûr… Pas de sexisme ! Mais c’est plus rare.

 

La marque de bonbons Haribo avait fait un petit clip dans lequel des adultes s’offrent de ces petites douceurs en forme de fraises trop roses, et se mettent à délaisser leurs occupations d’adultes au bureau, à se comporter comme des gosses irresponsables par toutes sorte de bêtises en criant à qui veut l’entendre « On grandira plus tard ! »

Non ! Pas plus tard, Maintenant !!!  En se donnant par moments des espaces de fantaisie, comme des récréations pour alléger les tensions et recharger notre potentiel de vie.. Et puis il y a toutes ces possibilités, tels que le Taï Chi, le Qi Gong, la Biodanza … Pour apprendre à se connaître, se développer harmonieusement en fortifiant la confiance douce et paisible en soi et en l’autre soutenue par la force intérieure qui ne demande qu’à grandir comme un Arbre de Vie entre Ciel et Terre..

 

(PS : "maternance", ce mot n'existe sûrement pas dans le dictionnaire, c'est pourquoi j'ai pris la liberté de l'inventer pour signifier cette envie irrépressible de materner comme si la vie de la femme en dépendait et l'action même de materner.  Par inadvertance, j'avais même écrit "maternaissance" ce qui est encore plus fort !)

 

 

 

Marie-Martine Mestre, psychanalyste.

Valence le 28 octobre 2013

 

 

 

 

 

 



28/10/2013
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