marie-martine mestre

Un Tchaï fumant, hiver 1994

"Hey ! sister ! TchaÎ, tchaï ! Come, come !"

Bouhhh qu'il fait froid ! 4 h du matin, tous les hommes sautent en riant du vieu bus, c'est la pause thé-chapatis !!! Nous roulons depuis le départ de Majnu Katila/Dehli à 18 h. Ces montées, ces grands sapins en bordure de la route étroite, ces nombreux virages, c'est le début des Hymalaya...Le bus brinquebalait sur la route, nous avions eu droit à notre ration de vidéos tonitruantes pour couvrir les rugissements du moteur, et puis chacun s'était recroquevillé sur son siège de bois, dur pour le dos et pour les fesses !!! Difficile de dormir, les rideaux virevoltaient autour des fenêtres déglinguées, le froid commençait à mordre, avec un goût de glace sur la langue... La Tchaïana ? Une cabane de planches, le devant appuyé sur la route, l'arrière appuyé sur des piliers de briques simplement empilées dans le vide un peu plus bas !

Les voyageurs, une dizaine d'hommes sombres de poil, de peau et d'yeux, sourires éclatants pour me faire signe de venir prendre ma place dans leur cercle.  Le patron hirsute encore tout ensommeillé s'affaire à réchauffer la marmite de Tchaï. Oh ce parfum prometteur d'un thé au lait, épais, sucré, parfumé de cardamome et de cannelle !!! mes compagnons cassent du petit bois sur une plaque de métal à même le sol.  Les flammes claires jaillissent, dansent sur le mur et dans leurs regards.. Accroupis tout autour du feu, épaules contre épaules, en riant fort nous tendons nos mains à la douce chaleur...ça pétille de partout, le thé est brûlant, réconfortant, les chapatis toutes chaudes sont les bienvenues... Il ne peut m'arriver que du bonheur avec ces frères aux visages et aux mains cuivrés par la lumière des flammes, dans cette joyeuse simplicité du thé et du feu partagés, comblant nos besoins les plus immédiats, essentiels...Les corps se détendent et se réchauffent... Nous sommes repartis... Le chauffeur-caravanier nous a emmenés jusqu'à Dharamsala/Mcleod Ganj, menant de main de maître ses 40 ou 50 chevaux du moteur rugissant ! Des sourires, des signes de la main en se quittant. Les regards des gens sur place observent notre arrivée au bus-stand, essayant de picorer des yeux un peu de notre aventure de voyage.... Ce moment dans la cabane de planches si précaire au dessus du vide, en cercle autour du feu, sirotant le Tchaï fumant, ce moment est toujours vivant dans mon coeur... Chaque fois que je réunis un cercle de gens pour accomplir un mandala, pour méditer, je suis en quelque sorte dans la Tchaïana, avec les hommes frères autour du feu comme depuis les premiers temps de l'humanité pour offrir au cercle une base de joie, de paix, de sentiment de sécurité....

hiver 1994



19/05/2012
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